81 % : c’est la part de marché qu’Internet Explorer affichait en 2003, avant de s’effondrer sans appel. Microsoft, longtemps maître du web, s’est retrouvé relégué au second plan, bousculé par l’irrésistible percée de Chrome et la ténacité de Firefox. Les enjeux étaient clairs : pour survivre, il fallait repenser la navigation, bousculer les vieilles habitudes et oser une rupture nette.
Chez Microsoft, la gestation d’un nouveau navigateur s’est faite à contre-courant. Pas question de reproduire les cycles internes classiques : l’équipe a dû avancer à tâtons, entre arbitrages techniques complexes, tensions politiques et exigences commerciales. Le projet Edge s’est construit loin de la routine du géant américain, imposant une trajectoire bien différente des traditions maison.
Pourquoi Microsoft a décidé de tourner la page d’Internet Explorer
La suprématie d’Internet Explorer appartient désormais au passé. Pendant des années, le navigateur de Microsoft s’est imposé grâce à sa présence native dans Windows. Ce privilège lui a assuré une diffusion planétaire, faisant de lui la porte d’entrée quasi-incontournable à Internet pour toute une génération. Mais cette position confortable n’a pas résisté à la montée en force de Chrome et de Firefox, plus agiles, plus modernes.
Le moteur Trident, colonne vertébrale d’Internet Explorer, n’a pas suivi le rythme des évolutions du web : compatibilité aléatoire avec les nouveaux standards web, correctifs de sécurité tardifs, innovations trop lentes à intégrer… Les développeurs web se heurtaient à des bugs spécifiques à chaque version Internet Explorer, complexifiant la création de sites fluides et interactifs. Résultat : le web se morcelait, chaque navigateur tirant la couverture à lui.
Face à ce blocage, Microsoft a choisi la rupture, préférant repartir à zéro plutôt que de s’accrocher à un héritage encombrant. Le chantier Edge démarre avec un nouveau moteur, EdgeHTML, censé tourner la page de Trident. Mais la véritable mutation s’opère avec le passage à Chromium : Microsoft embrasse une base open source, s’aligne sur les standards contemporains et promet une navigation plus sûre, plus stable, plus respectueuse des sites actuels.
Voici ce qui a précipité ce changement radical :
- Internet Explorer devait son omniprésence à son association directe avec Windows.
- La course menée par Chrome et Firefox a accéléré son déclin.
- L’adoption d’Edge a marqué un choix technique et stratégique inédit pour Microsoft.
Les débuts de Microsoft Edge : une nouvelle ère pour la navigation web
Quand Microsoft Edge débarque en 2015, la mission est claire : retrouver un second souffle, réinventer la navigation, et regagner la confiance des internautes. Fini le poids du passé, place à un moteur maison, EdgeHTML, plus rapide et mieux adapté aux standards web. Microsoft mise sur la performance, la fidélité au HTML et CSS, et sur le moteur JavaScript Chakra.
Mais la refonte ne se limite pas à la technique. L’apparence change : interface épurée, fonctionnalités pensées pour l’utilisateur, comme la prise de notes sur une page ou la lecture immersive. Pourtant, malgré ces efforts, le public reste frileux. Chrome a imposé ses habitudes, son écosystème, et la cadence des nouveautés. Edge peine à séduire.
Microsoft ajuste alors sa stratégie. En 2020, le navigateur bascule sur Chromium, la base open source de Google. Le moteur de rendu Blink remplace EdgeHTML. Cette décision simplifie la vie des développeurs et assure une compatibilité quasi universelle avec les sites web. Edge rejoint ainsi le club fermé des navigateurs modernes, au même titre que Chrome, Brave ou Opera.
Mais Edge ne s’arrête pas à la technique. L’intégration de Copilot, l’assistant IA développé par Microsoft, transforme l’expérience utilisateur : suggestions intelligentes, automatisation des tâches, recommandations personnalisées. La protection des données et la sécurité deviennent des arguments de poids, à l’heure où la question de la vie privée occupe le devant de la scène.
Edge face à la concurrence : quelles forces et faiblesses ?
L’arrivée de Microsoft Edge sur une scène dominée par Google Chrome n’a pas bouleversé la hiérarchie, mais elle a rebattu certaines cartes. Chrome, adossé à l’univers Google, a imposé Blink comme moteur de référence. Edge, désormais construit sur Chromium, partage cette fondation avec d’autres navigateurs comme Opera et Brave. Résultat : une compatibilité accrue, un développement simplifié, mais aussi une difficulté à affirmer sa singularité.
Certains utilisateurs apprécient la fluidité d’Edge, sa consommation mesurée de ressources et son intégration avec Windows. La gestion des onglets, des favoris et les possibilités offertes par Copilot séduisent notamment les professionnels. L’accent mis sur la sécurité et la confidentialité en fait un choix attractif, surtout à une époque où la collecte des données personnelles suscite la défiance.
Edge reste toutefois confronté à des rivaux coriaces. Mozilla Firefox, avec son moteur Gecko, séduit une communauté attachée à l’indépendance et à l’innovation libre. Safari, taillé sur mesure pour l’écosystème Apple, s’impose sur iOS et macOS. La prolifération des navigateurs fondés sur Blink complique la tâche à Edge, qui doit convaincre un public déjà bien servi. Les extensions, autrefois l’apanage de Chrome, sont désormais compatibles, mais il reste à étoffer l’offre côté Edge.
Pour mieux cerner la position de Microsoft Edge, voici un aperçu de ses points forts et de ses limites :
- Forces : compatibilité large, intégration poussée avec Windows, sécurité renforcée, intelligence artificielle embarquée.
- Faiblesses : image de navigateur secondaire, dépendance à Chromium, retard sur les usages mobiles.
Le secteur évolue vite. De nouveaux venus comme Brave, Arc ou Tor Browser misent sur la confidentialité ou des interfaces inédites. Edge, dans cette course à la différenciation, tente de proposer une expérience enrichie, sans renoncer à l’équilibre entre sobriété et efficacité.
Ce que l’évolution d’Edge révèle sur l’histoire des navigateurs web
L’épopée d’Edge s’inscrit dans la vaste histoire des navigateurs web, rythmée par les avancées technologiques et les batailles industrielles. Depuis WorldWideWeb (Nexus), le tout premier navigateur pensé par Tim Berners-Lee au CERN en 1990, jusqu’à la domination de Google Chrome, chaque génération a bâti sur l’héritage des précédentes. On se souvient du rôle de Mosaic, conçu au NCSA sous la direction de Marc Andreessen, puis de Netscape Navigator, qui a introduit JavaScript et les cookies dans le paysage numérique.
Avec Internet Explorer, Microsoft a longtemps verrouillé le marché grâce à son intégration à Windows. Cette stratégie lui a assuré une avance considérable, mais elle a aussi révélé ses faiblesses : lenteur, incompatibilités, difficultés à suivre le rythme des nouveaux standards web définis par le W3C et le WHATWG. Edge, d’abord propulsé par EdgeHTML puis converti à Chromium et Blink, reflète la volonté de Microsoft de renouer avec l’innovation et la compatibilité sans sacrifier la performance.
Pour mieux saisir l’évolution des moteurs de navigation, voici leur filiation directe :
- KHTML (né pour Konqueror/KDE) a donné naissance à WebKit (utilisé par Safari et sur iPhone),
- WebKit a ensuite mené à Blink (adopté par Chrome, Edge, Opera, Brave),
- Gecko (au cœur de Mozilla Firefox) poursuit sa route de façon indépendante, préservant la diversité.
En rejoignant Blink, Edge s’inscrit dans la tendance dominante, mais participe aussi à rendre le web plus homogène. Cette évolution garantit rapidité et compatibilité, tout en posant la question de la diversité et de la souveraineté numérique. L’histoire d’Edge, reflet des choix de Microsoft, met en lumière la tension permanente entre uniformisation du web et quête d’une identité propre. Reste à savoir si, demain, Edge saura écrire un chapitre singulier dans le roman toujours inachevé des navigateurs.


